5 juillet 2020

La Douce Semblance… Le manuscrit du Roi

Motet et tradition poétique courtoise

 

L’étude des musiques médiévales et la spécialisation des chercheurs, voire des musiciens, nous ont appris à appréhender les corpus musicaux par genres distincts. Ainsi différencions nous ce qui appartient au domaine liturgique et para liturgique de tradition et de langue latine, de ce qui tient du domaine laïque s’exprimant en langues vernaculaires au travers de la culture courtoise, puis de ce qui est du monde profane des jongleurs et de la danse.

Si l’existence de ces sphères sociales est une réalité, nous percevons aujourd’hui que celles-ci ne sont pas étanches les unes aux autres. C’est ce que nous permet de constater le manuscrit fr.844 de la Bibliothèque nationale de France, plus connu sous le nom de Manuscrit du Roi.

Ce manuscrit, copié en Picardie au milieu du XIIIe siècle, est un imposant chansonnier qui compile les œuvres courtoises en langue d’oïl des plus illustres trouvères, mais aussi celles en langue provençale des grands maîtres du Trobar occitan. Le contenu de ce manuscrit réfère donc très clairement à la sphère des gens lettrés de la société laïque du moment. Quelques danses y sont aussi notées au XIVe siècle, estampies et dansas qui appartiennent respectivement aux domaines culturels et linguistiques d’Oïl et d’Oc.

Mais ce manuscrit conserve aussi un corpus tout à fait exceptionnel en son temps. Pour la première fois, un genre musical nouveau apparaît noté : le motet français.

Au XIIIe siècle, le motet en lui-même n’est pas une nouveauté. Mais dans la mouvance et le succès de la poésie courtoise, les clercs du XIIIe siècle se mirent à écrire des motets d’un genre différent. Ils gardèrent les principes de la composition musicale des motets liturgiques et composèrent des textes en français sur une thématique courtoise. Peut-être leurs premières pièces furent elles des chansons de trouvères mises en polyphonie, tant les modèles de ces premiers motets français relèvent de la forme structurelle de la chanson. Ils s’inscriraient ainsi dans une forme traditionnelle de la contra facta.

Qu’aucun autre chansonnier, texte ou roman littéraire ne parle n’y n’évoque ce genre musical nouveau avant la création du Manuscrit du Roi laisse à penser que ces pièces furent notées et consignées très rapidement après leur composition. Nous serions là devant un fait unique dans l’histoire de la musique au Moyen Âge pour la quelle la notation d’un répertoire ne vient qu’après que la tradition orale l’ait longuement porté. C’est naturellement le cas pour les œuvres des poètes qui sont transmises dans ce manuscrit ; toutes sont connues de longue date au temps de sa copie. Elles viennent, en quelque sorte, apporter une caution légitime à la toute fraîche nouveauté du motet français en l’inscrivant dans le grand cycle de la tradition poétique courtoise : elles lui proposent en parrainage les noms des plus illustres poètes de la chanson d’amour.

Le Manuscrit du Roi est un important témoin de la perméabilité culturelle qui existe entre les différentes sphères sociales du XIIIe siècle. En le considérant dans son ensemble, et non dans l’étude parcellaire de chacun des corpus qu’il transmet, nous pouvons appréhender comment des genres musicaux jusque-là considérés comme différents et indépendants les uns des autres, sont en fait liés et interagissent sur les processus de création et de composition de chacun.

L’objectif vise à montrer la prépondérance de la valeur rythmique prosodique de ces chansons sur celle indiquée par la notation musicale. Celles-ci ne pourraient être, dans le contexte spécifique du corpus et de la période de rédaction du Manuscrit du Roi, qu’une convention d’écriture liée au matériau polyphonique de ces premiers motets français. Cette relation texte-prosodie-accent linguistique sera d’autant plus au centre de la recherche artistique et scientifique que seront choisies des chansons des domaines d’Oïl et d’Oc. Il sera ainsi permis d’étudier et d’apprécier la réception et l’assimilation de ces œuvres lyriques dans un milieu culturel étranger à celui qui les a produit. Là dorment encore les mécanismes de la transmission des savoirs et des cultures : ils recouvrent les sources manuscrites d’un fin voile qui en trouble la lecture.

 

La création de ce programme de concert entre dans le cadre d’une recherche artistique et scientifique conduite en collaboration et en coproduction par La Douce Semblance (dir. Brice Duisit), Christelle Chaillou-Amadieu (Porteuse du projet ANR MARITEM, Chargée de recherche, CESCM-CNRS, Université de Poitiers) et Gisèle Clément (Directrice-fondatrice du CIMM et Maîtresse de conférences en Musicologie médiévale, CEMM, Université Paul-Valéry Montpellier 3).

Pour en savoir plus et suivre le processus de recherche :

 

2 SESSIONS DE RESIDENCE ET CREATION / OCTOBRE 2020 ET MAI 2021

 

La Douce Semblance… Ensemble for medieval music

  • Brice Duisit – direction, vièle, luth & chant
  • Estelle Nadau – chant
  • Caroline Ciotoli – chant
  • Christina Alis Raurich – orgue portatif
  • Florent Marie – luth & guiterne

 

Biographies

La Douce Semblance… est un ensemble à géométrie variable dédié à l’interprétation des musiques médiévales.

Sous la direction de Brice Duisit, il regroupe des musiciens professionnels de renom qui mettent leur talent et leur professionnalisme au service d’une re-interprétation des répertoires anciens.

L’ensemble est conçu comme un atelier d’application de travaux musicaux et musicologiques novateurs où les musiciens travaillent sous la forme de sessions en résidences d’artistes.

https://www.facebook.com/ladoucesemblance/

 

Christelle Chaillou-Amadieu est chargée de recherche CNRS au CESCM de Poitiers depuis 2016 et actuellement titulaire d’une bourse Humboldt à l’université de Würzburg. Après avoir soutenu une thèse en musicologie médiévale sur les rapports texte/musique dans les chansons de troubadours à l’Université de Poitiers en 2007, elle poursuit ses recherches à l’Université autonome de Barcelone, à l’EPHE sous la direction de Fabio Zinelli puis au Collège de France en étant l’assistante de Michel Zink de 2013 à 2015. Avec Fabio Zinelli, elle crée en 2013, les rencontres bisanuelles Philologie et musicologie afin promouvoir les travaux entre les deux disciplines. À cette même période, elle commence à collaborer régulièrement avec le CIMM ; l’expérimentation musicale faite en collaboration avec des ensembles professionnels devient alors un outil précieux pour ses recherches. Depuis 2016, elle s’intéresse plus particulièrement à la tradition en langue allemande, projet financé par la Fondation Humboldt (2019-2021). Depuis 2019, elle coordonne le programme de recherche interdisciplinaire MARITEM financé par l’Agence Nationale de la Recherche : Manuscrit du Roi, Paris, BnF fr. 844 (2019-2023), dont la perspective est de produire une étude du codex et de son contexte de production, assortie d’une édition numérique intégrale en TEI/MEI.