3 août 2021

Ars Sonic – Les anges de la Crypte

Processus et enjeux de la création

Les instruments angéliques

La chapelle basse de la collégiale de Saint-Bonnet-le-Château fût ornée dans la première moitié du XVe siècle d’une fresque représentant un concert céleste, semble-t-il en l’honneur d’Anne Dauphine, comtesse de Forez (1358-1417) pour laquelle elle servait d’oratoire. Chacun des anges musiciens porte un instrument de musique, constituant un instrumentarium dont la particularité est d’être représentatif des pratiques musicales du contexte courtois de son époque. Au cours du XVe siècle, un développement progressif des instruments de musique mène vers la Renaissance tout en gardant en eux l’héritage du siècle précédent. C’est le cas sur cette fresque du rebec représenté dans son évolution vers ce qui aboutira au violon et du clavicorde, représentant des premiers instruments à clavier.

Parmi les autres instruments, on trouve le luth qui, muni de ses quatre chœurs doubles se place dans la tradition du XIVe siècle. La harpe est de style gothique et conserve elle aussi un pied dans le siècle précédent. La guiterne est contemporaine de son époque avec ses quatre chœurs doubles au lieu de trois. Le rebab reste fidèle à la tradition arabe-andalouse et similaire à d’autres exemples représentés en France à la même époque. Enfin, l’orgue portatif, dont le clavier semble démuni de touches d’altérations, pourrait présenter un caractère plus ancien.

La majorité des instruments joués dans ce programme sont issus de l’étude de la fresque de Saint-Bonnet le Château. Ceux-ci ont été réalisés par le luthier, chercheur et musicien Olivier Féraud, en les replaçant dans leur contexte artistique, musical et organologique. Ils sont pour certains le fruit d’une collaboration étroite entre le luthier et certains des musiciens présents dans ce programme : la clavieriste Adeline Cartier, le luthiste Dana Howe et le psaltériste Baptiste Chopin. Pour ce programme, le clavicorde, dont la sonorité ne tolère guère le jeu en ensemble instrumental, sera remplacé par le dulce melos, premier instrument à cordes frappées et à clavier, mis au point non loin de Saint-Bonnet-le-château, à la cour de Bourgogne, à une période contemporaine de la fresque, et dont l’unique témoignage reste le traité d’Henri Arnaut de Zwolle, rédigé vers 1440.

Expérimentation musicale

Le contexte historico-musical de cet instrumentarium, composé majoritairement de cordes, est l’occasion d’explorer l’esthétique sonore de la pratique instrumentale de la polyphonie savante en France au XVe siècle. L’attention portée conjointement à l’iconographie, l’organologie et la reconstitution des instruments de musique nous mène vers des horizons sonores qui peuvent aujourd’hui surprendre. Si l’on joue le jeu de l’historicité des pratiques musicales et de la facture instrumentale, la morphologie, la taille et la tessiture des instruments, le mode d’attaque des cordes, la répartition des timbres et des instruments dans des duos qui s’avèrent particulièrement usités en cette période, ainsi que la répartition entre voix et instruments, conduisent à une mise en son de la musique transmise par les manuscrits qui pourrait paraître décalée par rapport aux instrumentations communément entendues aujourd’hui dans le monde des musiques anciennes.

La recherche et la restitution des instruments dans leur facture historique amène à une esthétique sonore qui ne peut se confondre avec celle des instruments postérieurs. Le goût pour les sonorités veloutées et l’accroissement de la tessiture des instruments vers les basses n’étaient pas encore à l’honneur dans la France du début du XVe siècle. Ceci est lié entre autre aux relations entre musique vocale et musique instrumentale, lesquelles placent chacun dans un statut, un rôle et une sphère sonore distincts. Dans la continuation de la tradition médiévale, la pratique musicale assumait une forte distinction entre voix et instruments, si bien que leurs relations ne s’exprimaient pas dans les jeux de substitution qui ne se sont développés à partir de la fin du siècle, mais dans les jeux d’association et d’enrichissement de timbres.

Du côté des instruments, ces associations se font souvent dans des duos, dans lesquels les trois parties de la polyphonie se partagent dans une complémentarité des timbres, comme c’est le cas entre le luth et la harpe à harpions ou entre le luth et la guiterne. Les harpions, provoquant un nasardement de la corde, sont un exemple frappant de la recherche de richesse harmonique, que l’on retrouve par exemple dans la morphologie étroite de la guiterne ou du rebec.

Le programme musical

Que chantaient les anges de la Crypte de Saint-Bonnet-le-Château?

La musique n’y est pas seulement représentée par des instruments de musique mais également par les notations musicales. On y voit notés trois plains chants : un Ave Regina caelorum, un Gaudeamus ainsi qu’un Gloria in excelsis Deo.

Cependant, le contexte musical des premières décennies du XVe siècle est celui d’une polyphonie savante héritée de l’Ars Nova et de l’Ars subtilior. Anne Dauphine, partagée entre la Cour de France au Louvre et le Bourbonnais, frontalier avec la Bourgogne, aura très certainement entendu les compositeurs prisés au sein de ces cours. En ce début de siècle, les compositeurs se partagent entre les héritiers des sophistications du XIVe tels que Pierre Fontaine (1380-1450), Nicolas Grenon (1375-1456), Baude Cordier (1380-1440), ou encore des compositeurs moins connus tels que Gilet Velut (ou Egidius Velut, actif entre 1409 et 1411), et leurs élèves, les jeunes représentants du style nouveau et plus épuré, la polyphonie dite franco-flamande, initiée par des figures telles que Guilhaume Dufay (1397-1474) et Gilles Binchois (1400-1460), ou encore l’anglais John Dunstable, figurant parmi les compositions notées dans le Chansonnier Cordiforme, compilées pour ou par Jean de Montchenu (1442-1506) qui fut évêque de Viviers (Auvergne).

Ce programme est constitué principalement de musiques sacrées, agrémenté de chansons de cour profanes, composées par ces compositeurs actifs au tout début des années 1400 et contemporains de la fresque de la crypte de Saint-Bonnet-le-Château.

Les pièces choisies sont toutes issues d’un travail de transcription par les membres actifs de l’ensemble Ars Sonic Axelle Verner et Olivier Féraud, depuis les sources manuscrites, dont principalement le manuscrit dit Canonici (Bodleian Library MS. Canon. Misc. 213), composé en partie dans les premières années du XVe siècle.

Détail du Bodleian Library MS. Canon. Misc. 213, fol. 63r

L’ensemble Ars sonic :

  • Axelle Verner – mezzo

  • Sylvain Manet – contre-ténor

  • Eymeric Mosca – ténor

  • Baptiste Chopin – psaltérion

  • Adeline Cartier – orgue portatif, dulce melos

  • Olivier Féraud – rebab, luth, guiterne

  • Eva Fogelgesang – harpe, rebec

  • Dana Howe – luth, guiterne

Le projet est porté par l’ensemble Ars Sonic (direction artistique Olivier Féraud) et soutenu par l’association d’archéologie musicale ProLyra et l’ensemble Les Kapsber’girls (administratrice Mathilde Dugois).