3 août 2021

Brice Duisit – Hosannah ! Des fleurs et du miel

Il a souvent était évoqué que, à l’aube du XIIe siècle, la lyrique des troubadours puisait ses sources dans les versus de Saint Martial de Limoges. 

Nous relativisons aujourd’hui ce propos en considérant que la poésie occitane en langue vernaculaire s’inscrit dans l’épanouissement, en Aquitaine, d’une tradition poétique plus largement latine plutôt que spécifiquement ecclésiastique. C’est dans cette tradition latine que le trobar occitan inscrit son originalité. Il propose une thématique liée au sentiment amoureux qu’il exprime dans une langue vernaculaire. 

Si les caractéristiques littéraires et linguistiques du trobar sont bien identifiées, il n’en va pas de même en ce concerne le matériau musical. Les chants des troubadours possèdent-ils une modalité propre ? La mise en musique des poèmes occitans est-elle calquée sur les modèles latins ? En un mot, les chansons des troubadours s’inscrivent-elles réellement dans la tradition poétique latine ou sont-elles le fruit de traditions extérieures ?

Pour répondre à ces questions, il convient d’étudier premièrement la poésie latine et son matériau musical, son expression lyrique et sa performance, dans un contexte historique ante-troubadour. Datant de la fin du Xe siècle et rattaché à la sphère géographique et linguistique de la genèse du trobar, le manuscrit d’Auch propose un corpus dont les caractéristiques correspondent à notre étude.

De cette tradition poétique latine précédant la genèse du trobar occitan, seuls les manuscrits destinés aux pratiques liturgiques nous sont parvenus notés (en neumes aquitains). Mais pouvait-il en être autrement dans une société où le savoir et la culture prennent vie au sein même des grands centres monastiques ? 

Certes, si l’utilisation de ces poèmes liés à la liturgie conditionne leur interprétation, ils restent à aborder comme des poésies chantées. Il ne s’agira pas ici de détourner ou de désacraliser le contenu de ces textes, ou de dévoyer l’essence même de leur message. Bien au contraire, la pensée qu’ils véhiculent restent le centre de l’expression ; il conviendra de sortir ces chants de leur fonction liturgique initiale pour les porter à la bouche et à l’expression introspective de celui en qui ils résonnent.

Les enjeux

Ce projet doit d’abord permettre de s’interroger sur la performance de la poésie latine en dehors du champs « technique » de la liturgie. À une époque où la tradition est essentiellement transmise par les canaux de l’Oralité, la poésie lyrique est un vecteur prépondérant de transmission et sa pratique n’est pas anodine : elle véhicule une somme considérable d’images, de thèmes et de références qui sont les bases et les piliers de la culture philosophique et spirituelle de la société romane dans laquelle elle évolue. 

Chanter, c’est transmettre, c’est dire son appartenance à un groupe. C’est aussi porter à sa conscience les sujets explicités par les textes. Si nous connaissons aujourd’hui ce qu’il en est de la représentation publique des répertoires médiévaux, que ce soit ceux de la liturgie ou bien du monde profane à travers la prestation des jongleurs, nous n’en savons que peu sur la pratique en soliste, c’est à dire dans une pratique introspective de la poésie au sein de la sphère privée. 

Aborder la poésie latine sous cet angle permet d’étudier une forme d’expression libérée des contraintes qui sont liées à la prestation publique et à la pratique en groupe : scansion différente de la prosodie, ornementation spontanée… 

De cette considération pratique de la poésie lyrique pourra émerger une interprétation nouvelle de ces répertoires. Elle nous permettra de comprendre plus en détail ce qui lie si étroitement le texte et la musique.

De là, nous serons à même de reconsidérer, voire de modifier, notre interprétation et le regard porté sur la lyrique des troubadours en tant que tradition inscrite ou non dans la droite lignée de sa sœur latine.

Brice Duisit a choisi de s’entourer de :

  • Gisèle Clément : musicologue, Maîtresse de conférences HC en Musicologie médiévale à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Directrice-fondatrice du CIMM.

https://cemm.www.univ-montp3.fr/fr/annuaire_recherche/gis%C3%A8le-cl%C3%A9ment

  • Thomas Granier : historien, Professeur d’Histoire médiévale à l’université Paul-Valéry Montpellier 3.

https://cemm.www.univ-montp3.fr/fr/annuaire_recherche/thomas-granier

  • Olivier Féraud : archéo-luthier, Docteur en anthropologie sonore (EHESS) et musicien. Il restituera un luth avec table en peau, d’après le modèle des enluminures des Beatus de Liébana. 

https://www.olivierferaudluthier.com/

Biographie

Luthiste de formation, Brice Duisit suit les cours du Conservatoire National de Musique de Pau. Passionné par les musiques médiévales, il se perfectionne au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon en paléographie musicale et dans la pratique du contrepoint des XIIe et XIIIe siècles. Son intérêt pour les XIIe et XIIIe siècles l’amène à aborder le répertoire des poésies lyriques et à s’initier à la vièle à archet. Il s’ensuit une recherche sur les premières poésies en langues romanes au travers de laquelle il développe une interprétation musicale racée, basée sur le rapport du texte à la musique, de l’instrument à la voix, du compositeur à l’interprète. Parallèlement à une carrière artistique dédiée aux concerts et à l’enregistrement de disques régulièrement primés par la presse internationale spécialisée, il développe les activités d’enseignement et de recherche. Il poursuit ses investigations dans le domaine de la poésie lyrique du XIVe siècle pour laquelle il propose des pistes novatrices d’interprétation.

Brice Duisit est artiste associé au CIMM depuis 2019 jusqu’à fin 2022.