de la recherche

Intimement lié à l’université, et en rupture avec l’organisation institutionnelle française qui cloisonne création artistique, diffusion, recherche, formation et médiation, le CIMM se présente comme un dispositif au sens foucaldien : un agencement où discours, institutions et pratiques sont articulés pour produire du savoir et du pouvoir en synergie. En fédérant des univers hétérogènes – université, conservatoire, scènes, lieux patrimoniaux – le CIMM invente une autre manière de « faire tenir ensemble » des champs ordinairement séparés.

Le processus qu’engage le CIMM relève d’une véritable épistémologie de la recherche-création : il prend en compte le temps du faire, l’expérimentation des corps et des gestes, et les inscrit dans une analyse réflexive qui devient production de connaissance. En ce sens, le CIMM propose une musicologie incarnée, où, aux côtés des archives, l’atelier, la répétition, le concert ou la facture instrumentale deviennent des lieux de savoir à part entière.

Le CIMM est conçu comme un espace de co-présence des savoirs, où universitaires, étudiants, artistes-chercheurs, interprètes, archéo-luthiers et luthiers oeuvrent ensemble. Cette synergie est une réponse à ce que Miranda Fricker nomme l’injustice épistémique : la non-reconnaissance des savoirs oraux, corporels et artisanaux dans le cadre institutionnel universitaire. En reconnaissant les chanteurs, instrumentistes et artisans comme co-chercheurs, le CIMM redistribue la légitimité et fait du dialogue entre pratiques et théories un principe structurant.

Les formats – festivals, concerts, cycles de formation, journées d’étude, salons de lutherie, films documentaires, actions d’éducation artistique et culturelle – sont pensés comme des institutions du commun. Ils s’adressent à tous les publics – amateurs ou professionnels, étudiants ou chercheurs, publics spécialisés ou néophytes – et inscrivent les musiques médiévales et modales dans une dynamique de patrimoine vivant (UNESCO), partagé et transmis.

Le CIMM se définit comme un laboratoire pour questionner :

  • la vocalité ;
  • la modalité ;
  • la notation/consignation ;
  • la spectacularité et la performativité.

Il ne s’agit pas seulement d’interpréter selon les codes de « l’historiquement informé », mais de risquer d’autres hypothèses musicales, en reconsidérant fondamentalement les composantes du fait musical. Ce laboratoire prend appui sur des lieux spécifiques – Saint-Guilhem-le-Désert, Fontfroide, l’Université Paul-Valéry, la Cité des Arts – qui sont autant de milieux de savoir situés, où l’espace acoustique et la communauté participent à la production de connaissance.

L’archéo-lutherie constitue ici un point nodal : chaque restitution instrumentale est une hypothèse de recherche matérialisée, où la fabrication devient pensée. L’instrument n’est plus un objet de musée, mais un commun matériel circulant entre chercheurs, étudiants, musiciens, artisans et publics.

Dans un contexte marqué par la marchandisation des biens culturels et la massification universitaire, le CIMM assume une fonction critique. Il refuse la spectacularisation et la muséification, et défend au contraire une écologie du vivant où la musique est indissociable des lieux, des gestes et des communautés.

En tant que tiers-lieu universitaire et culturel, le CIMM reformule la politique des savoirs : il propose un modèle où recherche, création et formation sont intégrées, où les droits culturels et les communs sont mis en oeuvre, et où la musicologie médiévale redevient une discipline vivante, transdisciplinaire et démocratique.

À ce titre, le CIMM, grâce à son partenariat avec l’université, est un exemple de mise en oeuvre du dialogue Arts-Science-Société : il ouvre des espaces partagés où se rencontrent la recherche, la création et la société civile, et où la musique devient un vecteur de savoir commun et de justice épistémique.

Le CIMM ne se limite pas à une expérience locale : il constitue un prototype institutionnel et épistémique transférable. Le modèle qu’il développe – synergie entre université, écoles et conservatoire, lieux patrimoniaux et collectivités ; articulation entre recherche, formation, création et médiation ; reconnaissance des savoirs oraux et artisanaux comme producteurs de science – peut inspirer d’autres territoires et d’autres disciplines. Il propose ainsi une voie concrète pour repenser la place de la recherche-création dans l’université et les politiques culturelles, et pour instituer des communs savants ouverts et démocratiques.

Damien Poisblaud ©Yves Massarotto