20 février 2019

la harpe de Guilhem VIII de Montpellier

harpe du sceau de Guilhem VIII reconstituée par Yves d'Arcizas et les étudiants.

C’est dans le cadre d’un atelier ouvert, organisé en mai 2017 par le Centre International de Musiques Médiévales – Du ciel aux marges,  que cinq stagiaires ont restitué la harpe de Guilhem VIII de Montpellier. Ugo Casalonga, luthier professionnel (Pigna), Bernard Louviot, luthier amateur, Raphaël Clément-Dumas, apprenti luthier, Ève Laurent-Martin et Clément Frouin, étudiants, ont œuvré ensemble sous la houlette de Yves d’Arcizas, spécialiste des harpes anciennes, facteur notamment des harpes et rotes de Brigitte Lesne (ensemble Alla francesca). L’aventure a commencé aux Archives de la ville de Montpellier, grâce à la générosité et l’engouement de Christine Feuillas, directrice, et s’est poursuivie à Saint-Guilhem-le-Désert (34150).

Les instruments joués par les musiciens spécialistes des corpus du Moyen Âge sont des restitutions réalisées par des archéo-luthiers à partir de modèles iconographiques et documentés par des textes. Désireux de constituer peu à peu tout un instrumentarium « médiéval » pour le mettre à disposition des musiciens professionnels et des étudiants accueillis, le CIMM passe ainsi commande à des archéo-luthiers.

Pour sa première réalisation, il a choisi l’instrument emblématique de la capitale héraultaise : la harpe figurée sur le sceau de Guilhem VIII (1192) – seigneur de Montpellier, poète et homme lettré ayant proclamé la liberté d’enseignement sans distinction d’origine – conservé aux Archives de la ville. Un symbole pour le CIMM autant que pour Montpellier, et un instrument témoin de ce que représente la musique (musica instrumentalis) pour les médiévaux : la représentation ici-bas de l’harmonie du monde ou musica mundana. Selon la pensée médiévale, héritée de la tradition pythagorico-platonicienne et de la tradition biblique, ce sont les proportions musicales qui organisent le monde macrocosmique et microcosmique, l’homme y compris (musica humana). En se faisant représenter en train de jouer ou d’accorder sa harpe, Guilhem VIII s’attribue l’image du Roi David : par son bon gouvernement, il réalise l’harmonie du monde et fait le lien, grâce à la musique, entre monde terrestre et monde céleste.

Quelques indications sur la facture 

La harpe représentée sur ce sceau en plomb est une fine représentation en volume d’un type fréquemment rencontré dans l’iconographie des XIIe et XIIIe siècles. La précision d’orfèvre de la gravure en fait un témoin de qualité qui mérite l’attention. Les harpes sculptées à Saint Jacques de Compostelle ou Chartres complètent les informations permettant une restitution. Le relevé des courbes et droites composant cet instrument et l’étude des rapports géométriques qui les régissent conduisent à une proposition de tracé. La harpe a été construite selon le principe des proportions pythagoriciennes.

Il s’agit d’une harpe monoxyle, la caisse est creusée à la gouge dans un seul morceau de bois. Seule une pièce est rapportée pour venir fermer le dos. Toutes les pièces sont emboîtées, sans colle : c’est la tension des cordes qui maintient l’ensemble. Le bois utilisé est l’aulne flotté, bois courant, facile à travailler notamment pour les sculptures, possédant de bonnes propriétés acoustiques. Les chevilles et boutons sont en buis, beaucoup plus dur.

Un mot de Yves d’Arcizas

Parallèlement à des études en architecture et une expérience professionnelle comme dessinateur, projeteur et maquettiste, j’ai abordé la facture instrumentale par la musique traditionnelle. Á partir de 1975, je me suis orienté vers les instruments médiévaux puis, plus particulièrement, la harpe.

Les contacts avec de nombreux luthiers, dont Christian Rault, et harpistes, spécialement Françoise Johannel, ont guidé la majeure partie de ma formation, complétée dans des ateliers de menuiserie, ébénisterie et charpente marine.

La fondation de ProLyra, laboratoire d’archéologie musicale, et un passage à l’EHESS avec Jacques Le Goff, m’ont conduit à approfondir la conception et le tracé de la harpe. Le relevé et la copie de la harpe baroque de Tópaga pour Egberto Bermudez de la Universidad Nacional de Colombia (1989), la participation à Saint-Jacques de Compostelle au projet « Los Sonidos del Portico » de José Lopez Calo S. J. (1989-90) et le relevé de la harpe renaissance de la Wartburg avec Wolfgang Wenke, restaurateur au Bachhaus Eisenach (1994), ont constitué des étapes privilégiées et essentielles.

http://simplearp.free.fr/

Qui est Guilhem VIII ?

Guilhem VIII de Montpellier (1157-1202) appartient à la dynastie des Guilhem, seigneurs de la Ville de Montpellier. Fils de Guilhem VII de Montpellier et de Mathilde de Bourgogne, Gil devient seigneur de Montpellier dès 1172. En 1178 ou 1179, il épouse la princesse byzantine Eudoxie Comnène, parente de l’empereur d’Orient.

Fondée deux siècles plus tôt, Montpellier est déjà en plein essor et célèbre pour son commerce prospère et son artisanat, son enseignement en médecine et en droit.

Homme lettré, Guilhem VIII accueille à sa cour de nombreux troubadours, parmi lesquels Arnaud de Mareuil et Folquet de Marseille. Il favorise les études de médecine en proclamant par un acte de 1181, la liberté d’enseignement sans distinction d’origine. C’est cette mesure qui va accélérer l’essor intellectuel de Montpellier : la dynastie des Guilhem est connue pour son ouverture, la cité étant une terre d’accueil et d’échanges avec le monde méditerranéen.

En savoir +

La harpe de Guilhem VIII, documentaire réalisé par Barbara Schröder : https://www.youtube.com/watch?v=sV-6CjVQqk4