22 juillet 2023

Ensemble Tasto Solo (dir. Guillermo Pérez)

El canto coronado  

Rois Musiciens de l’Espagne Médiévale : Thibaut I de Navarre, 1201-1253 ; Alphonse X de Castille, 1221-1284 : Jean I d’Aragon, 1350-1396

Présentation 

À la fin du Moyen Âge, la monarchie fut, aux côtés du clergé, l’un des principaux piliers du mécénat et de la création artistique, notamment celle musicale. Si certains rois ont financé et développé la pratique de la musique dans leur cour comme symbole de leur richesse ou voulant imiter les fastes des grands lieux de pouvoir, d’autres monarques ont eu une implication active et omniprésente dans ce domaine, que ce soit en tant que musiciens amateurs, compositeurs et même gestionnaires personnels de tous les sujets rattachés à la pratique de la musique, profane et sacrée : embauche de nouveaux instrumentistes et chantres, négociation de leurs salaires, commande et réparation d’instruments, achat de partitions… et bien d’autres.

En Espagne, pendant les XIIIe et XIVe siècles, trois rois se sont illustrés en tant que excellents artistes et musiciens, chacun d’entre eux étant le monarque d’une fleurissante et puissante couronne : Thibaut I de Navarre, Alphonse X de Castille et Jean I d’Aragon. Trois rois et trois royaumes avec des liens politiques et culturels étroits avec la France. C’est notamment le cas de Thibaut, lui-même français, et de Jean I, lequel « havia muller francesa e era tot francès ». Ce sont ces liens qui ont enrichi de manière particulière les œuvres musicales qui ont résonné dans leurs châteaux et leurs chapelles, et qui naviguent entre les styles de l’Ars Antiqua, l’Ars Nova et l’Ars Subtilior.

Thibaut I de Navarre, originaire de Troyes et fils du compte de Champagne, est couronné roi de Navarre en 1234. Il est l’un des poètes les plus célèbres de son époque et la mise en musique de certaines de ses chansons lui vaudra le surnom de « Thibaut le Chansonnier » ou, en espagnol, « el Trovador ». La Bibliothèque nationale de France conserve plusieurs sources manuscrites contenant ses compositions, notamment des chansons d’amour et des chansons de croisade.

Alphonse X de Castille est appelé « le Sage » en raison de son travail incommensurable dans les domaines de la littérature, des lois, ou encore des sciences. Dans le champ artistique, sa renommée sera immense du fait de l’impulsion qu’il donna à l’élaboration d’un incroyable corpus de Cantigas en honneur à la Vierge Marie. Composée vers la moitié du XIIIe siècle, cette œuvre constitue le plus important chansonnier religieux médiéval de la littérature galaïco-portugaise. Outre l’écriture des textes poétiques, Alphonse aurait composé personnellement la musique d’au moins une douzaine des Cantigas. Certaines font allusion à Las Huelgas, haut lieu de culture du royaume castillan et monastère royal, où se trouve le précieux manuscrit médiéval musical homonyme, et dont certaines pièces feront aussi partie du programme de concert.

Concernant Jean I d’Aragon, c’est surtout grâce aux archives de la Couronne d’Aragon, une source de documentation inouïe, qu’il est possible de retracer l’activité musicale dans son royaume. En étudiant les lettres préservées dans les archives, des documents rédigés directement d’après la volonté du roi, on apprend toutes les gestions qu’il mena concernant ses musiciens, l’entretien et le renouvellement du parc instrumental, l’achat de manuscrits, les échanges artistiques avec d’autres cours et chapelles… Aussi, on peut lire dans un courrier de Jean I adressé à son frère Martin, lettre datée du 4 janvier 1380, qu’il lui fait parvenir dans l’enveloppe une composition qu’il vient de faire en compagnie de ses chantres, un rondeau « notat ab sa tenor e contratenor e ab son cant », tout en demandant à Martin de lui envoyer des poèmes qu’il souhaiterait voir mis en musique par ses soins. Finalement, d’importants manuscrits de la fin du XIVe siècle, comme le Codex Chantilly, contiennent bon nombre de compositions dédiées à Jean I et à son entourage, louant ainsi l’engagement de ce mélomane et musicien invétéré.

Objectifs et enjeux du projet

Cette résidence a pour but la création d’un programme de concert singulier autour des musiques composées par ses trois monarques et du rôle qu’ils ont joué en tant qu’artistes actifs et acteurs engagés dans la pratique musicale, au-delà de leur activité de rois et mécènes. De ce fait, il est possible de sensibiliser le public sur l’importance de la musique dans la société médiévale et dans les intérêts des dirigeants de cette période.

C’est à partir de l’étude, de la sélection et de la performance des compositions écrites par ces rois, accompagnées d’autres répertoires en circulation dans leurs royaumes, qu’on souhaite recréer un panorama des répertoires profanes et sacrés (souvent les deux étant entremêlés) joués en Espagne entre le début du XIIIe siècle et la fin du XIVe. Cette sélection d’œuvres est aussi une présentation des différentes formes musicales, séculaires et liturgiques, et de l’évolution des styles et des techniques de composition depuis la lyrique des troubadours et jusqu’à l’Ars Subtilior.

La création d’un tel programme propose à l’auditeur une immersion dans cet univers médiéval si divers et prospère. Les compositions qui seront finalement choisies pour la création du programme de concert formeront une entité artistique unitaire et à la fois riche en variations. Telle une visite à l’intérieur d’une « cathédrale sonore », le public sera immergé dans un univers musical où se superposent et dialoguent des éléments de différentes époques, donnant ainsi une vision globale, et en même temps une perspective individuelle à chacune des différentes compositions. De même, cela permettra de montrer les fruits des échanges historiques et culturels de cette période entre la France et les royaumes hispaniques. 

C’est à partir des informations contenues dans les archives, spécialement celui de la Couronne d’Aragon, qu’il sera possible d’approfondir la connaissance des pratiques musicales des monarques, mais aussi dans celle de leurs musiciens associés. Le travail de Tasto Solo mettra aussi en valeur les différents instruments représentatifs de cette période, notamment les instruments pour accompagner la voix au XIIIe siècle (cordes frottées et pincées) et les instruments mécaniques (claviers) en plein essor au XIVe siècle. 

Ce projet est aussi l’occasion pour l’ensemble de partager, à travers d’actions culturelles et de masterclass, les principaux contenus de la théorie musicale, et sa mise en pratique, de cette période fondamentale pour le développement de la musique en Europe.

Tasto solo

  • Anne-Kathryn Olsen, soprano
  • Víctor Sordo, ténor
  • Pau Marcos, vièle à archet
  • Bérengère Sardin, harpe gothique
  • David Mayoral, cloches & percussions
  • Guillermo Pérez, organetto, clavisimbalum & direction

L’ensemble Tasto Solo redécouvre les répertoires de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance de grand raffinement et virtuosité. Autour de son directeur et fondateur, l’organettiste Guillermo Pérez, la formation réunit un extraordinaire collectif de spécialistes de la musique ancienne venus de toute l’Europe pour présenter des performances exquises, où la recherche historique se mêle à la créativité et à l’art de transmettre des émotions. Le public reste séduit dès le premier instant, envouté par les sonorités suggestives et insolites qui font l’identité singulière de Tasto Solo. C’est ainsi que l’ensemble a mené un rôle déterminant dans la récupération et diffusion de ces répertoires jadis oubliés qui retrouvent aujourd’hui toute leur place sur la scène artistique.

La discographie de Tasto Solo présente à ce jour trois CDs publiés par le label Passacaille : « Meyster ob allen Meystern », « Le chant de Leschiquier » et « Early Modern English Music ». Ces enregistrements ont remporté le « Diapason d’or »à plusieurs reprises et reçu un grand nombre d’autres prix et reconnaissances de la presse internationale, tels que Amadeus « CD du Mois », Ritmo & Audio Clásica « Excellent », Pizzicato « Supersonic », Scherzo « Exceptionnel », France Musique « Coup de Cœur » ou Nomination ICMA. A l’automne 2022, le groupe a présenté son dernier opus, « Eros & Subtilitas : Capricci, Madrigali e Danze in Dialogo », avec la musique de Vincezo Ruffo, publié par le label Alia-Vox du mythique musicien Jordi Savall.

L’ensemble se produit régulièrement dans les plus prestigieux festivals de musique ancienne et salles de concerts, dont le Palácio Nacional à Sintra (Portugal), L’Auditori de Barcelona (Espagne), la Fondation Royaumont (France), le Festival de Saintes (France), le Konzerthaus de Berlin (Allemagne), le Wiener Konzerthaus (Autriche), le Laus Polyphoniae & AMUZ d’Anvers (Belgique), le Concertgebouw Brugge (Belgique), BOZAR à Bruxelles (Belgique), l’emblématique Utrecht Oude Muziek Festival (Pays-Bas), Cantar di Pietre (Suisse), Wratislavia Cantans (Pologne), Banchetto Musicale à Vilnius (Lituanie), Radovljica Festival (Slovénie), Bergen Medieval Music Days (Norvège), Copenhaguen Renaissance Music Festival (Danemark), Early Music Foundation à Saint Petersburg (Russie) et bien d’autres. En 2020, le groupe fait ses débuts en Amérique lors d’une tournée de concerts en partenariat avec l’Arizona State University Herberger Institute for Design and the Arts.

Tasto Solo finalise actuellement une résidence d’artiste au Château de Bournazel, l’un des plus remarquables sites historiques de la Renaissance française. L’ensemble est également associé à l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille pour la recherche, création et diffusion de ses nouveaux projets.

Biographie

Guillermo Pérez (Barcelone, 1980) est directeur, chercheur et spécialiste des claviers anciens, notamment de l’organetto : l’iconique petit orgue caractéristique de la culture musicale européenne du XIVe au début du XVIe siècle.

Diplômé des conservatoires de Barcelone et Séville, il a suivi des perfectionnements à Milan, Rome et Toulouse. Durant les vingt dernières années, il a développé sa propre technique de jeu pour devenir l’un des rares spécialistes de son instrument, avec un style très personnel, virtuose et poétique. Avec son groupe Tasto Solo, il conçoit des programmes novateurs aux sonorités insolites, que l’ensemble présente régulièrement dans les plus importants festivals et salles de concert de toute l’Europe. Il collabore également avec de prestigieux groupes internationaux tels que J. Savall & Hespèrion XXI, Mala Punica, Micrologus, The Unicorn Ensemble, Diabolus in Musica et ClubMediéval. Il a réalisé une vingtaine d’enregistrements pour les labels Aeon, Alia-Vox, Musica Ficta, Naïve, Passacaille, Pneuma, Raum-Klang, Ricercar et Zig-Zag Territoires.

Il enseigne l’organetto et les musiques du Moyen-âge au Koninklijk Conservatorium de Bruxelles. Il est aussi professeur de Diminution et Musiques de la Renaissance au sein du Pôle des Arts Baroques du Conservatoire de Toulouse. Très attaché au développement pédagogique de ces disciplines, il a créé des projets de formation pour le Centre Itinérant de Recherche sur les Musiques Anciennes (CIRMA) à Moissac, au Centro Studi Europeo di Musica « Adolfo Broegg » à Spello, Italie, et au Conservatori de Música Isaac Albéniz de Girona, Espagne.  De 2013 à 2016, il enseigne au département de Musicologie de l’Université de Toulouse Le Mirail. Il réalise par ailleurs des masterclass et conférences dans d’importants centres d’études comme les conservatoires de Wien, Moscow et Orsay, la Schola Cantorum Basiliensis, la Academia de Órgano Julián de la OrdenThe Grieg Academy University of Bergen et la Folkwang Universität der Künste à Essen. 

Guillermo Pérez présente actuellement de nouveaux projets en récital et à la tête de Tasto Solo. Convaincu de l’importance d’allier investigation et pratique, ses programmes de concert sont le fruit d’une profonde étude des principales sources instrumentales entre 1300 et 1550. Il aborde également la création contemporaine en collaboration avec le compositeur José-María Sánchez-Verdú, qui lui confie les premières du Totentanz-Buch (2015, Semana de Música Religiosa de Cuenca), Tous les Regretz (2016, Museo del Prado – Exposición El Bosco), et lui dédie Chanson bleue (2019, Fundación Juan March). En partenariat avec le facteur italien Walter Chinaglia, il travaille depuis 2006 à la reconstruction d’orgues de la fin du Moyen-Âge et du début de la Renaissance, avec la création de plusieurs prototypes et modèles d’étude. En 2012, ils donnent vie à un orgue étonnant dessiné par Leonardo da Vinci vers 1503 dans l’un de ses cahiers personnels, le Codex Madrid II (fol 76r) conservé à la Biblioteca Nacional de España

www.tastosolo.com