Deux exemplaires de l’instrument ont été restitués : le premier a été directement commandé à Ugo Casalonga, luthier à Pigna (Corse), et a été remis à l’automne 2018. Le second a été réalisé dans le cadre de l’atelier organisé les 18-25 mai 2019 à Saint-Guilhem-le-Désert, par cinq stagiaires (Aude Bertoncello, Benjamin Bru, Raphaël Clément-Dumas, Mattéo Diop, Clément Frouin et Enzo Vitali), sous la maîtrise d’œuvre du même artisan d’art.
Quelques indications sur la facture
La caisse monoxyle a été creusée dans une pièce en bois de cerisier. La table d’harmonie est taillée dans une planche en épicéa du Jura. Deux rosaces en bois y sont sculptées, quatre cabochons incrustés ainsi que des pistagnes de contour. La touche en sorbier encadré d’un filet est apposée, 9 frettes en boyau y sont insérées. Spécifique de la guiterne, le cheviller en faucille se termine ici par une sculpture de tête de lion. Huit chevilles de buis sont installées pour accorder les quatre chœurs doubles dont la longueur vibrante est 44 cm.
Un mot du luthier
« Utilisant une méthode de fabrication artisanale et dans la tradition de la lutherie, j’emploie des bois indigènes sélectionnés, au séchage naturel : noyer, sorbier, cyprès, buis, cerisier, robinier, poirier, épicéa, érable. Et d’autres essences, certifiées, venues de loin : palissandre, ébène…
Mon travail en lutherie fut motivé par la redécouverte de la Cetera corse (grand cistre à 8 chœurs doubles) dans les années 70 et il s’est naturellement élargi à cette famille d’instruments présente en Europe de l’Ouest du XVIᵉ au XVIIIᵉ siècle. Les Cistres, 4 & 6 chœurs, italien, français ou anglais, Pandore, Orpharion, Ceterone… J’ai poursuivi mon travail de recherches sur les instruments à cordes pincées et frottées de la période médiévale : Citole, Guiterne, Vièle à archet, Rebec… Je me suis aussi formé à la facture du clavecin.
Étudier et continuer mes recherches sur les instruments de la famille des cistres de la Renaissance à aujourd’hui, et les instruments à cordes pincées et frottées du Moyen Âge central, sont des travaux quotidiens auxquels je me consacre pour l’évolution de mon travail, l’objectif étant de donner aux musiciens des instruments dont la restitution demeure fidèle à leur époque, pour une continuité des traditions, sans exclure la création et l’expérimentation.
Les instruments de ma fabrication sont réalisés avec toute l’attention nécessaire à ce métier, afin de satisfaire au mieux le musicien. Bois sélectionné et séché naturellement, contrôle de l’hygrométrie, collage réalisé en grande partie à la colle à chaud, vernis à base de gomme laque, résines et huiles naturelles… »
La source iconographique
Vendue par la paroisse au moment de la séparation de l’Église et de l’État (1905), l’armoire liturgique a été rachetée par la ville d’Elne (Pyrénées-Orientales) en 1997 et exposée dans la cathédrale. Originellement placée dans le chœur, elle était destinée à conserver le saint sacrement.
Les panneaux peints composaient primitivement le fond et les côtés de l’armoire, les deux portes ouvrant sur le devant et les revers. En lien avec la fonction de l’armoire, le fond représente la Passion du Christ ; sur les côtés, deux anges observent la scène. Sur les portes figurent les deux saintes titulaires de la Cathédrale d’Elne, Eulalie et Julie. Au dos des côtés, des peintures du XVIIe siècle représentent des blasons.
C’est au dos de l’armoire que les instruments de musique sont peints : aux mains de six anges musiciens, ils encadrent une très belle Vierge allaitant l’enfant Jésus, ou Mare de Deu de la Llet. On y reconnaît six instruments de musiques du Moyen Âge : luth, vièle à archet, guiterne, organetto, psaltérion, rebab. Sous les pieds de Marie, un croissant de lune, allusion à la Femme de l’Apocalypse.
Marcel Durliat a attribué l’armoire d’Elne au « Maître d’Elne », un peintre de la fin du XIVe siècle dont on reconnaît aussi la main dans le retable de Saint-Michel, conservé dans la Cathédrale. Peut-être faut-il l’identifier avec un peintre de Perpignan, Pere Baro, mort à Perpignan en 1399 et dont on ne connait pas les œuvres, mais dont les archives disent qu’il a peint des retables et des armoires liturgiques en Roussillon à cette époque, notamment une armoire pour Ortaffa en 1371. La peinture gothique catalane de cette époque est dominée par l’atelier des frères Pere et Jaume Serra de Barcelone, qui peignent pour le Comte-Roi et introduisent en Catalogne le goût élégant et raffiné des maîtres italiens. Leur style est particulièrement inspiré des grands maîtres siennois du XIVe siècle, et ils ont à leur tour visiblement inspiré le Maître d’Elne.
Bibliographie :
Durliat, Marcel, Arts anciens du Roussillon, Perpignan, 1954.
Alcoy, Rosa, « L’armari liturgic de la catedral d’Elna i el seu mestre pintor, la formacio, l’estil, els models i el cataleg », dans Elne, ville et Territoire, l’historien et l’archéologue dans la cité, IIe rencontre d’histoire et d’archéologie d’Elne, La Société des Amis d’Illibéris, 2003, p. 287-304.