19 juillet 2022

Psaltérion

Canon psaltérion

Le canon – psaltérion en trapèze-rectangle – a été commandé par le CIMM et construit en 2022 par Olivier Féraud pour Baptiste Chopin, directeur artistique de l’ensemble Ballata.

© Olivier Féraud

Musicien et doctorant, Baptiste Chopin souhaitait expérimenter ses recherches dans leur volet reconstitution instrumentale et mise en application sonore, musicale et artistique. Le choix s’est porté sur le type de canon représenté dans la peinture italienne du XIVe, notamment dans la fresque emblématique du Trionfo della morte de Bonamico Buffalmaco (milieu XIVe siècle au Campo Santo de Pise) et sur l’armoire liturgique de l’abbaye d’Elne (fin XIVe).

Trionfo della morte
de Bonamico Buffalmaco

Définition du Psaltérion

Le terme désignait un instrument spécifique. Du latin : «psalterium», du verbe «psallein» = toucher avec les doigts. En France le mot psaltérion désigne la cithare en forme de trapèze rectangle, jouée avec les doigts (par opposition à tympanon = cithare en forme de trapèze isocèle jouée avec des baguettes).

Le psaltérion ou nonca est un instrument de musique à cordes qui apparaît au Moyen Âge ; il est fréquemment représenté, illustré ou sculpté à partir du Xe siècle.

Ses cordes, initialement en boyaux puis faites de métal, sont fixées par des chevilles au-dessus d’une caisse de résonance plate, comme la cithare dont il est en réalité une des formes sur table. Son cadre est triangulaire ou trapézoïdal, avec de nombreuses variations de forme comme le groin de porc (une sorte de trapèze dont les petits côtés s’incurvent vers l’intérieur). Les cordes vont par paires pour chaque note, et sont montées tête-bêche.

Arguments pour ce type de modèle, ainsi que les quelques problématiques soulevées
– Traits organologiques différenciés :
o Forme en trapèze-rectangle,
o Dimensions plus larges qu’un psaltérion en « groin de porc », tessiture vraisemblablement plus grave,
o Chœurs quadruples, pour une esthétique sonore très singulière. Ces chœurs triples ou quadruples sont vraiment une caractéristique de ce type morphologique, plus rarement présents sur ceux en « groins de
porc ». C’est en effet cette spécificité qui est mise en valeur dans de nombreuses représentations, quitte à proposer un nombre de chœurs très réduit (voir la sculpture du Norton Simon Museum par exemple),
o Facture sculptée mais non monoxyle,
o Enjeux de tension et diamètres des cordes radicalement différents, celles-ci étant disposées selon un plan en diagonal, et non courbe.

– Traits pratiques différenciés :
o Jeu assis privilégié, sinon nécessité d’une bandoulière en jouant debout.
o Topos iconographique très répandu de la main gauche appuyée par-dessus la grande base (topos présent également sur les psaltérions en groin-de-porc, mais de manière moins marquée). La question générale de la fonction de cette main gauche, dans cette position ou dans un mode de jeu à l’identique de la main droite sera un des enjeux de la recherche avec cette reconstitution. Le psaltérion gagne-t-il en stabilité dans l’une ou l’autre position ? Le jeu à deux voix est-il toujours possible et ergonomique ?
o A priori, la technique actuelle de Baptiste Chopin, avec un poignet fixe et pivotant lui permettant d’avoir accès à presque une dixième d’ambitus, ne sera pas envisageable ici : le poignet devra glisser de façon plus libre sur le bord de l’instrument pour accéder aux différents chœurs de cordes.

– Liens possibles entre un lieu, un temps et un répertoire :
o La dimension et la tessiture du psaltérion de Pise, ainsi que l’écart important entre chaque chœur montrent que le jeu mélodique virtuose ne semble pas être la destination première de l’instrument. Ce type d’instrument pourrait être en revanche particulièrement adapté aux fonctions de ténor et contra du
répertoire polyphonique profane du Trecento. Une étude fine des ambitus propres à ce répertoire sera nécessaire.
o On rencontre l’iconographie de ce format trapézoïdal dans beaucoup de régions d’Europe, depuis le XIII e siècle au moins, mais il a une prégnance très forte dans l’Italie du Trecento, en particulier dans les peintures liées au culte marial (Vierge à l’enfant, Couronnement de la Vierge…). Rien qu’à Pise à la même période, on rencontre bien d’autres représentations du même type (peut-être copiées les unes sur les autres) : sculpture du Norton Simon Museum, Saint Rainier de Pise toujours au Campo Santo, ou encore
cette miniature du codex Lehigh conservé à Philadelphie.
o Le nombre de chœurs est en général relativement restreint, généralement compris entre une douzaine et une quinzaine. Certains modèles proposent des ambitus plus larges cependant : Vanni Turino au Louvre avec 17 chœurs triples, Tommaso del Mazza au Musée du Petit Palais d’Avignon avec pas moins de 24 chœurs triples.
o Selon Olivier Féraud, la dimension et les caractéristiques structurelles de ces grands psaltérions en trapèze-rectangle pourrait induire une esthétique sonore allant dans le sens d’un certain « velouté », que l’on l’observe déjà dans les spécificités organologiques d’autres cordophones de cour du trecento italien
tels que les vièles et les luths.

Ce choix de modèle permettra aussi de mettre en valeur le séjour de recherche de Baptiste Chopin en Toscane.

Armoire liturgique, Abbaye d’Elne